lundi 17 janvier 2011

Sportif du dimanche

Il faisait un grand soleil ce dimanche matin lorsque, sur les coups de 10 heures, Fred enfourcha son vélo. Les fêtes de fin d’année étaient venues réconforter le charmant boudin qui s’était installé autour de sa taille après la trentaine. Pour éviter que ses poignées d’amour ne se muent en bouée pneumatique, Fred était décidé à se remettre au sport. Il s’en était du moins vanté auprès de sa petite amie, Marie, une sportive émérite, et il se sentait maintenant obligé de s’y atteler. Pour le motiver davantage, elle s’était d’ailleurs jointe à lui.

Lancé comme une fusée sur la piste cyclable depuis à peine cinq minutes, Fred était sûr qu’il ressentait déjà les effets positifs de ce grand bol d’air frais. Il contemplait le fleuve qui longeait la route tout en slalomant entre les badauds. Toute la ville semblait être de sortie en cette matinée hivernale exceptionnellement ensoleillée : les parents surpassés par leurs cinquante enfants en trottinette, les joggeurs rendus sourds par leur MP3, et les préférés de Fred, les cyclistes du dimanche attifés comme s’ils partaient pour le Tour de France.

Heureusement, Marie connaissait bien les environs, et elle entraina bien vite Fred sur un chemin boisé qui courrait le long d’un grand lac. A mesure qu’ils s’enfonçaient dans l’épaisse forêt et que les cris des enfants se faisaient plus ténus, Fred respirait profondément. Ce n’était pas tant pour profiter des bienfaits de la promenade que pour reprendre sa respiration. Marie le distançait de plus en plus et bientôt, malgré les appels de Fred, elle ne fut plus qu’un petit point au loin, dans la lumière qui filtrait à travers les immenses arbres.

_Ma… Ma… MARIE ! articula Fred avec peine en s’élevant sur son vélo.

Son portable tomba alors de sa poche.

_Merde !

Fred s’arrêta, découragé, et regarda autour de lui. Il était absolument seul. Il posa le vélo par terre et revint un peu en arrière pour chercher son téléphone qui devait être tombé dans un tas de feuilles mortes. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Il le chercha, le chercha… Fred leva les yeux et observa le sous-bois, un peu en contrebas du chemin de gravier. Le portable y avait peut-être glissé. Il descendit la petite pente en glissant sur les feuilles humides et s’enfonça au milieu des arbres. Toujours aucune trace de son téléphone. Pourtant, une petite musique se fit entendre. Fred était sûr de reconnaître sa sonnerie de portable, mais elle lui paraissait étrangement lointaine. A vrai dire, il pouvait affirmer qu’elle sortait de terre, plus précisément d’un trou sombre situé sous un tronc pourri, juste en face de lui. Interloqué, il se pencha au-dessus. Il se pencha tandis que la petite musique continuait, se pencha encore un peu… SCHLAK ! Fred glissa dans le trou. Il chuta lourdement dans le terrier, un peu plus bas.

Il leva les yeux, la mâchoire endolorie, et constata que la personne qui se tenait immobile à un mètre de lui avait effectivement son portable dans les mains. Il ne s’agissait pas tout à fait d’une personne telle qu’on peut l’entendre. C’était une biche. Et quelle ne fut pas la surprise de Fred lorsqu’il constata qu’une quinzaine d’animaux de la forêt se tenaient devant lui, l’air interloqué. Ils étaient tous debout sur leurs pattes de derrière et arboraient des ensembles de jogging et des baskets de course. Certains, au fond de la salle, pédalaient même sur des vélos d’appartement tandis qu’un loup soulevait des altères. Tous s’arrêtèrent net à la vue de cet homme qui leur faisait face.

Fred eut un mouvement de recul. Le souffle court, les yeux exorbités, plus un son ne pouvait sortir de sa bouche. Il venait de tomber dans une salle de sport pour animaux. Sous les pieds des humains qui se complaisaient dans leur supériorité et des joggeurs du dimanche, ces bestioles cultivaient leur forme physique dans le plus grand secret. Fred sentait son cœur battre de plus en plus fort.

La biche, qui se tenait toujours immobile face à lui, s’avança gracieusement d’un pas et lui tendit son téléphone. Après un long moment d’hésitation, Fred attrapa le petit objet et, ne sachant ce qu’il convenait de dire en cette situation, bafouilla un remerciement confus.

Le portable de Fred sonna alors à nouveau, rompant le silence pesant de cette rencontre impromptue. Désorienté, ses yeux firent quelques allées retour entre les animaux et son portable avant que Fred ne se décide à décrocher. C’était Marie.

_Fred ? Fred tu m’entends ? FRED ?!

Toujours muet sous le coup de la surprise, Fred s’apprêtait à tenter de répondre lorsqu’il releva les yeux vers l’assemblée d’étranges sportifs qui lui faisait face. Il n’eut que le temps de voir la lourde silhouette d’un énorme lapin lui fondre dessus et lui asséner un coup de bâton sur la tête.

_FRED ?!

La voix de Marie résonnait toujours dans la tête de l’homme. De plus en plus précise. Une violente claque sur la joue vint finalement le tirer de sa léthargie.

Fred était étendu au milieu du chemin de gravier. Marie était penchée au dessus de lui. Sa petite amie, inquiète de ne pas le voir arriver derrière elle en vélo, avait rebroussé chemin pour le retrouver finalement lamentablement écroulé au milieu du chemin de gravier, son portable à la main. La prochaine fois, Fred ne forcera pas sur le civet de lapin à Noël.

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