vendredi 4 février 2011

"Vulez-vu cucher avé moi ce soiw?"

_Ben alors, t’avances ou t’attends la Saint-Glinglin?! Beugla une vieille dame Boulevard Saint-Michel.

Gunter se retourna et la regarda un instant d’un air stupéfait. Elle n’avait rien de la parisienne « typique » telle qu’il avait pu se la représenter. Ses cheveux décolorés étaient aussi secs que de la paille et son manteau en imitation léopard jurait avec le fard criard qu’elle s’était étalé sur toute l’étendue de ses paupières.

_Allez mon mignon, fit-elle en passant devant Gunter, la voix un peu radoucie par l’air hagard du jeune-homme.

Du haut de ses 20 ans, Gunter débarquait de la campagne allemande pour se jeter dans le grand bain de la vie parisienne. Francophile convaincu, il comprenait toutes les subtilités de la langue de Molière, même si il avait conservé un fort accent germanique qui éveillait quelques sourires à la dérobée. Friand de baguettes tradition et de poésie surréaliste, il vénérait la culture pittoresque de l’Hexagone.

Toutefois, depuis son arrivée dans la capitale des Gaules, Gunter avait du faire face à quelques désillusions. Il commençait vraiment à se demander où ceux qui véhiculaient ces clichés sur la France avaient bien pu se rendre. Pas au même endroit que lui assurément. Gunter avait beau s’émerveiller devant les merveilles cachées dans les Musées parisiens et se délecter de la Grande gastronomie, il y avait dans ce paysage bien gris quelque chose qu’il ne comprenait absolument pas : le Français. Et même, pire, le Parisien.

Gunter avait beau se creuser la tête, les observer du matin au soir, il ne parvenait pas à percer le secret de leur attitude. Il faut dire qu’ils affichaient sans cesse cette face insondable et inabordable, cette mine à la fois agacée et absente, comme si ils possédaient tous en commun un secret bien emmerdant.

Leurs mœurs étaient également bien étrangères au jeune Gunter. Il regardait d’un air interrogateur les usagers du métro offrir leur aide aux resquilleurs pour passer le tourniquet. Ne parlons même pas de ces inconscients qui traversaient la route sans attendre le bonhomme vert et, est-il besoin de le préciser, hors du passage piéton ! Toutes générations confondues, du bambin à l’ancêtre, les Français vénéraient la ruse, la combine, l’esbroufe qui se joue du système.

Hormis leur impolitesse quasiment pathologique et leur agacement immédiat à la vue d’un touriste ou de tout être ou chose non parisien, les habitants de la capitale avaient une habitude étrangement contradictoire : ils s’excusaient en permanence ! Gunter ne cherchait même plus à savoir pourquoi ils s’excusaient. Au début, il avait essayé, mais cela lui avait causé plus de mal que de bien, restant planté sur le quai du métro à chercher le pourquoi du comment de ce type qui vient de lui écrabouiller le pied exprès tout en présentant ses plates excuses ou de cette femme qui a failli le faire tomber dans l’escalator avec sa poussette parce qu’elle tenait absolument à passer devant lui pour ensuite ralentir.

Excusez-moi par ici, excusez-moi par là, pensait Gunter en descendant les marches de la station Pyramides. Depuis quelques mois, il commençait enfin à s’y faire. Il avait même trouvé une copine (non, une Allemande tout de même) et, pire, malgré lui et contre toute attente, il commençait vraiment à apprécier ces êtres curieux : les Français. Gunter sourit en y réfléchissant, planté devant les portes du métro. Lui-même commençait dangereusement à virer Parisien. Il tâta les poches de son manteau et son sourire s’effaça. Il avait oublié sa carte de transport.

_Vous passez avec moi ? demanda un homme en costard en passant devant lui sans même le regarder.

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